Au village de Wanzoumbou, la piste nous a conduit par hasard, en contournant le village, au milieu d’une cour d’école. Vaste aire sableuse, recreusée par les pluies. Les soubassements en béton des bâtiments s’en sont trouvés surélevés ; il faut faire une grande enjambée pour gagner la porte des salles.
Les classes étaient vides. Un instituteur et deux formatrices devisaient autour d’un tas de cahiers et quelques « bics », leur seul matériel. Sur les deux murs sans fenêtres, l’un face aux élèves, l’autre dans leur dos, le béton avait été peint en noir afin que toute la surface puisse servir de tableau. Règles de grammaire, vocabulaire, consignes d’exercice, dessins (l’harnachement d’un cheval, l’appareil digestif), des exemples géographiques, couvraient tous les espaces disponibles, avec des consignes et des légendes ornées d’une belle écriture cursive. On y trouvait des tables et des bancs, d’une autre époque pour nos yeux d’occidentaux, mais cette école de brousse, possédant un tel mobilier scolaire, restait exceptionnelle pour le Niger. Dans le reste du pays, et même dans les bâtiments récents construits dans le cadre du programme « spécial » du Président, les élèves sont par terre, sur des petits tapis ou des nattes, ou des morceaux de carton. Leur matériel se résume au mieux, à des ardoises. Le maître ne dispose que d’un dictionnaire. Et vers les steppes rases de Zinder ou de Tanout, on ne trouve que des classes « paillottes », avec des maîtres « aux pieds nus » de 17 ou 18 ans, qui tracent sur le sable les lettres et les dessins géométriques de leurs leçons et ne disposent d’aucun support si ce n’est leur imagination et leur débrouillardise.
Ici les salles de classes étaient conformes à ce que l’on en attendait, bien qu’elles ressemblassent à celles des campagnes françaises, il y a un siècle. Désuètes, sans équipement, dépendantes de l’énergie et de l’inventivité des maîtres pour posséder cette atmosphère si particulière des endroits où l’on apprend, où l’on progresse et imagine tous les avenirs. Mais les visages des enseignants étaient fatigués, dépourvus d’enthousiasme. Un beau parler, certes, dans un français châtié, mais sans le vibrato espéré. Pour 30 ou 40 000 FCFA par mois, sans matériel, dans un contexte d’isolement terrible lorsqu’on a fait ses études en ville, c’est compréhensible !
Les enfants sont venus peu à peu et se sont regroupés pour la photo. En ligne, parce que c’est l’habitude des rassemblements, semble-t-il, dans cette cour ouverte au soleil. Lorsqu’ils sont interrogés, ils sourient un peu et répondent lentement. Chez les petites filles apparaît une grande anxiété dans le regard, comme si elles se sentaient en défaut, pas à la hauteur, ou menacées de punitions.
En effet, que peut-on attendre des « blancs », qui surgissent tout à coup avec leurs véhicules puissants et chers ? Quel peut être l’avenir de ces « campements » lointains, sur ces terres de confins où les chercheurs d’or ou les passeurs de cigarettes ont plus de prestige que ceux qui s’échinent à gratter la terre et pousser les troupeaux dans la brousse ?
L’école promet implicitement des lendemains meilleurs, mais ici l’économie est celle de la survie. On retrouvera beaucoup de ces jeunes dans les quartiers pauvres des villages, organisés autour de quelques trafics occultes, ou coureurs de brousse, à la recherche du miel dans les troncs morts, tressant le secco pour le toit des cases, se souvenant à peine des lettres et des mots tracés au tableau, qui parlaient pourtant du reste du monde…
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