mercredi 15 octobre 2014

Le mardi de Doisneau de la fête de la science: L'exploitation des gaz de schiste dans le monde



Faut-il avoir peur du gaz de schiste ? C’est en ces termes que Max Mille, docteur en géologie et professeur associé de géologie, pour le groupe pétrolier Total a commencé sa conférence devant des classes de premières,  terminales  et leurs professeurs de SVT. Ce  Mardi de Doisneau a ainsi lancé la fête de la science au lycée sur un sujet éco-citoyen. Le professeur a débuté sa présentation  en annonçant clairement une position pro gaz de schiste.

Les besoins en énergie sont énormes et ne font que croitre. Notre intervenant a défini les données du problème en soumettant une série de graphiques évaluant les types d’énergies utilisées. Les énergies renouvelables, essentiellement le bois et l’hydroélectricité comptent ainsi environ pour 20% du mix énergétique et ce depuis 2009. L’éolien et le solaire, quant à eux, plafonnent à 2% malgré les politiques publiques. À l’horizon 2030, on peut raisonnablement imaginer que la consommation double sans que la proportion des énergies utilisées change.
Tout monde professionnel a son vocabulaire. Ainsi, chez les pétroliers c’est le mot huile (ou « oil ») qui est employé pour le pétrole. De même l’expression « gaz de schiste » est un non-sens puisque le schiste ne contient ni gaz ni pétrole et sert à faire des ardoises pour les toitures des maisons.
L’appellation la plus appropriée serait « gaz d’argile ».
M. Mille s’est ensuite attaqué à la recette du pétrole et du gaz.
Pour faire du pétrole, prenez de la matière organique. Laissez-la se sédimenter et se concentrer au fond de la mer. La température monte, la pression augmente.  7 à 10 millions d’années sont nécessaires afin d’obtenir du pétrole. Attendre encore un peu plus longtemps pour du gaz.
Pour récupérer ce pétrole ou ce gaz, attendre qu’il remonte naturellement. Ensuite, il faut aller le récupérer à la casserole, comme le font certains habitants en Iran, ou avec un léger forage vertical. Le pétrole remonte grâce à la pression naturelle.
Le gaz de schiste, lui, est emprisonné dans une roche imperméable qu’il est nécessaire de fracturer pour le libérer. La fracturation hydraulique consiste donc à forer le sol, y injecter, sous haute pression de l’eau avec du sable et des additifs chimiques que l’on peut trouver dans nos produits ménagers. L’objectif est de créer des fissures de « l’épaisseur d’un cheveu » et longues de quelques mètres à quelques dizaines de mètres. Ces fissures, faites à environ 4 kilomètres de profondeur, laisseront échapper le gaz qui sera récolté à la surface.  Les fissures finissent par se refermer naturellement, malgré les grains de sable…Même si on peut s’interroger sur les ordres de grandeur, notamment sur  la possibilité de faire entrer des grains de sable dans une fissure plus petite que le diamètre du grain en question.

Suivent l’évocation des problèmes relatifs à l’exploitation
Le forage d’un seul puits consomme l’équivalent du volume de 3 piscines olympiques qu’il faut acheminer et stocker sur place. L’exploitation des hydrocarbures non conventionnels consomme 100 fois plus d’eau que les conventionnels. Lorsque l’eau injectée remonte à la surface (soit 60 à 70% du volume total), il faut la traiter pour la réutiliser. Des stations d’épuration mobiles sont donc installées sur les chantiers. En ce qui concerne la pollution éventuelle de l’aquifère (nappe phréatique), Max Mille rappelle que l’extraction de pétrole se fait déjà par forage passant à travers l’aquifère depuis les débuts de l’histoire du pétrole au XIXe siècle.  Des millions de puits existent de par le monde qui ne posent aucun problème.
Dans les zones habitées,  la circulation des camions occasionne une nuisance pour le voisinage, le temps du forage. Le paysage est dégradé de façon temporaire,  mais l’emprise au sol est plus faible pour un « cluster » (regroupement de puits) de gaz de schiste que pour un parc éolien ou une centrale solaire.  Les autorités américaines restent vigilantes quant à la remise en état des terrains à la fin de l’exploitation. Il est faux de croire que les Etats-Unis sont un pays laxiste en matière de réglementation. Les risques pour l’atmosphère (fuites de gaz)  quant à eux, sont relativement minimes et les vibrations occasionnées, sur l’échelle de Richter, sont inférieures à celles du métro parisien.
Mais, s’il y a un vrai problème, estiment les pétroliers, c’est bien celui de la pénurie de sable, et de gomme de Guar, nécessaires à la fracturation.
Question géopolitique : La situation américaine est-elle transposable en Europe ?
L’exploitation du gaz de schiste a changé le rapport des Etats-Unis à l’énergie et au monde. La hausse de la production de gaz a entraîné une baisse de son prix et dopé l’économie. Ce nouveau rapport à l’énergie a également un impact sur les relations internationales et le désengagement des États-Unis du Moyen-Orient.  Toutefois,  les puits ont une durée de vie très courte obligeant à prospecter sans arrêt, rendant fragiles à long terme les perspectives d’autosuffisance énergétique.
Mais l’exemple américain n’est pas transposable en France où  le propriétaire du sol n’est pas propriétaire du sous-sol, forcément intéressé aux bénéfices de l’exploitation. Les normes françaises sont aussi plus contraignantes. La France et la Bulgarie font figure d’exception en Europe. En effet, ces deux pays refusent l’exploitation du gaz de schiste. La France va même plus loin en refusant la recherche, l’évaluation des premiers forages et l’expérimentation. Par voie de conséquence, les grands groupes français concernés (Total, Technip, Vallourec,…) travaillent à l’étranger malgré une réserve française de gaz de schiste théoriquement assez importante.

Pourquoi tant de passion autour de la question du gaz de schiste?
On peut invoquer toute une série de raisons, sans en privilégier aucune. Dans un premier temps, on peut imaginer qu’il y ait une application exagérée des principes informels NIMBY (Not In My Back Yard) et BANANA (Build Absolutely Nothing Anywhere Near Anything), à chaque fois qu’il est question d’installer une industrie ou un bâtiment quelque part ;  voire même  un excès de principe de précaution, qui fait viser le risque zéro, valeur absolue difficile à atteindre dans les activités humaines.  L’absence de culture scientifique de la classe politique et des  médias  a aussi un impact sur l’image et les décisions selon Max Mille.
Le film documentaire Gasland  de Josh Fox, a probablement « tué le gaz de schiste ». L’image du robinet qui crache des flammes, a fait le tour du monde. Elle est bien réelle, mais a été prise dans une région dépourvue de gaz de schiste où seul le gaz de surface serait en cause.
De nombreuses catastrophes industrielles et crises sanitaires ont cultivé la défiance de la population vis à vis des sciences et des technologies, que la guerre des images entretient. Ceci dit, il apparaît  paradoxal que les besoins croissants en énergie puissent être encore pour longtemps satisfaits par une énergie fossile dont les conséquences sur l’effet de serre et le  réchauffement climatique vont sûrement faire l’objet de débats lors des prochaines conférences sur le climat.



Pour aller plus loin
Films
  • Fox, Josh. Gasland. Arte Editions, 2011. DVD, 107 min.
  • Gus Van Sant. Promised Land. TF1 Video, 2013. DVD, 102 min.
Sites web
Livres
  • Chevalier, Jean-Marie. L'avenir énergétique : cartes sur table. Gallimard, 2012. Folio actuel. 224 p.
  • Jobert, Marine. Gaz de schiste : de la catastrophe écologique au mirage énergétique. Actes Sud,  2013. Babel. 240 p.
  • Bodin, Muriel, Ropers, Jean. Gaz de schiste : vraie ou fausse opportunité ?.  Le Muscadier, 2013. 128 p.
  • Bauquis, Pierre-René. Parlons gaz de schiste en 30 questions. La Documentation Française, 2014. 96 p.
Revues
Dupin, Ludovic. Energie : la vérité sur le gaz de schiste. Usine Nouvelle, 2011, n° 3228, p. 32-33.