Faut-il avoir peur du gaz de schiste ? C’est en ces termes que Max
Mille, docteur en géologie et professeur associé de géologie, pour le groupe
pétrolier Total a commencé sa conférence devant des classes de premières, terminales
et leurs professeurs de SVT. Ce
Mardi de Doisneau a ainsi lancé la fête de la science au lycée sur un
sujet éco-citoyen. Le professeur a débuté sa présentation en annonçant clairement une position pro gaz
de schiste.
Les besoins en énergie sont
énormes et ne font que croitre. Notre intervenant a défini les données du
problème en soumettant une série de graphiques évaluant les types d’énergies
utilisées. Les énergies renouvelables, essentiellement le bois et
l’hydroélectricité comptent ainsi environ pour 20% du mix énergétique et ce
depuis 2009. L’éolien et le solaire, quant à eux, plafonnent à 2% malgré les
politiques publiques. À l’horizon 2030, on peut raisonnablement imaginer que la
consommation double sans que la proportion des énergies utilisées change.
Tout monde professionnel a son
vocabulaire. Ainsi, chez les pétroliers c’est le mot huile (ou
« oil ») qui est employé pour le pétrole. De même l’expression
« gaz de schiste » est un non-sens puisque le schiste ne contient ni
gaz ni pétrole et sert à faire des ardoises pour les toitures des maisons.
L’appellation la plus appropriée
serait « gaz d’argile ».
M. Mille s’est
ensuite attaqué à la recette du pétrole et du gaz.
Pour faire du
pétrole, prenez de la matière organique. Laissez-la se sédimenter et se
concentrer au fond de la mer. La température monte, la pression augmente. 7 à 10 millions d’années sont nécessaires
afin d’obtenir du pétrole. Attendre encore un peu plus longtemps pour du gaz.
Pour
récupérer ce pétrole ou ce gaz, attendre qu’il remonte naturellement. Ensuite,
il faut aller le récupérer à la casserole, comme le font certains habitants en
Iran, ou avec un léger forage vertical. Le pétrole remonte grâce à la pression
naturelle.
Le gaz de schiste, lui, est
emprisonné dans une roche imperméable qu’il est nécessaire de fracturer pour le
libérer. La fracturation hydraulique consiste donc à forer le sol, y injecter,
sous haute pression de l’eau avec du sable et des additifs chimiques que l’on
peut trouver dans nos produits ménagers. L’objectif est de créer des fissures
de « l’épaisseur d’un cheveu » et longues de quelques mètres à
quelques dizaines de mètres. Ces fissures, faites à environ 4 kilomètres de
profondeur, laisseront échapper le gaz qui sera récolté à la surface. Les fissures finissent par se refermer
naturellement, malgré les grains de sable…Même si on peut s’interroger sur les
ordres de grandeur, notamment sur la
possibilité de faire entrer des grains de sable dans une fissure plus petite
que le diamètre du grain en question.
Suivent l’évocation des problèmes relatifs à l’exploitation
Le forage d’un seul puits
consomme l’équivalent du volume de 3 piscines olympiques qu’il faut acheminer
et stocker sur place. L’exploitation des hydrocarbures non conventionnels consomme
100 fois plus d’eau que les conventionnels. Lorsque l’eau injectée remonte à la
surface (soit 60 à 70% du volume total), il faut la traiter pour la réutiliser.
Des stations d’épuration mobiles sont donc installées sur les chantiers. En ce
qui concerne la pollution éventuelle de l’aquifère (nappe phréatique), Max
Mille rappelle que l’extraction de pétrole se fait déjà par forage passant à
travers l’aquifère depuis les débuts de l’histoire du pétrole au XIXe
siècle. Des millions de puits existent
de par le monde qui ne posent aucun problème.
Dans les zones habitées, la circulation des camions occasionne une
nuisance pour le voisinage, le temps du forage. Le paysage est dégradé de façon
temporaire, mais l’emprise au sol est
plus faible pour un « cluster » (regroupement de puits) de gaz de
schiste que pour un parc éolien ou une centrale solaire. Les autorités américaines restent vigilantes
quant à la remise en état des terrains à la fin de l’exploitation. Il est faux
de croire que les Etats-Unis sont un pays laxiste en matière de réglementation.
Les risques pour l’atmosphère (fuites de gaz)
quant à eux, sont relativement minimes et les vibrations occasionnées,
sur l’échelle de Richter, sont inférieures à celles du métro parisien.
Mais, s’il y a un vrai problème,
estiment les pétroliers, c’est bien celui de la pénurie de sable, et de gomme
de Guar, nécessaires à la fracturation.
Question géopolitique : La situation américaine est-elle
transposable en Europe ?
L’exploitation du gaz de schiste
a changé le rapport des Etats-Unis à l’énergie et au monde. La hausse de la
production de gaz a entraîné une baisse de son prix et dopé l’économie. Ce
nouveau rapport à l’énergie a également un impact sur les relations
internationales et le désengagement des États-Unis du Moyen-Orient. Toutefois,
les puits ont une durée de vie très courte obligeant à prospecter sans
arrêt, rendant fragiles à long terme les perspectives d’autosuffisance énergétique.
Mais l’exemple américain n’est
pas transposable en France où le propriétaire
du sol n’est pas propriétaire du sous-sol, forcément intéressé aux bénéfices de
l’exploitation. Les normes françaises sont aussi plus contraignantes. La France
et la Bulgarie font figure d’exception en Europe. En effet, ces deux pays
refusent l’exploitation du gaz de schiste. La France va même plus loin en
refusant la recherche, l’évaluation des premiers forages et l’expérimentation.
Par voie de conséquence, les grands groupes français concernés (Total, Technip,
Vallourec,…) travaillent à l’étranger malgré une réserve française de gaz de
schiste théoriquement assez importante.
Pourquoi tant de passion autour de la question du gaz de schiste?
On peut invoquer toute une série
de raisons, sans en privilégier aucune. Dans un premier temps, on peut imaginer
qu’il y ait une application exagérée des principes informels NIMBY (Not In My Back Yard) et BANANA (Build Absolutely Nothing Anywhere Near Anything), à
chaque fois qu’il est question d’installer une industrie ou un bâtiment quelque
part ; voire même un excès de principe de précaution, qui fait
viser le risque zéro, valeur absolue difficile à atteindre dans les activités
humaines. L’absence de culture
scientifique de la classe politique et des
médias a aussi un impact sur
l’image et les décisions selon Max Mille.
Le film documentaire Gasland
de Josh Fox, a probablement « tué le gaz de schiste ». L’image
du robinet qui crache des flammes, a fait le tour du monde. Elle est bien
réelle, mais a été prise dans une région dépourvue de gaz de schiste où seul le
gaz de surface serait en cause.
De nombreuses catastrophes
industrielles et crises sanitaires ont cultivé la défiance de la population vis
à vis des sciences et des technologies, que la guerre des images entretient.
Ceci dit, il apparaît paradoxal que les
besoins croissants en énergie puissent être encore pour longtemps satisfaits
par une énergie fossile dont les conséquences sur l’effet de serre et le réchauffement climatique vont sûrement faire
l’objet de débats lors des prochaines conférences sur le climat.
Pour aller plus loin
Films
- Fox, Josh. Gasland. Arte Editions, 2011. DVD, 107 min.
- Gus Van Sant. Promised Land. TF1 Video, 2013. DVD, 102 min.
Sites web
- Le gaz de schiste : menace ou solution ? [en ligne]. France Culture, mai 2013 [consulté le 13 octobre 2014]. URL : http://www.franceculture.fr/emission-planete-terre-le-gaz-de-schiste-menace-ou-solution-2013-05-01
- Gaz de schiste : la controverse d'une ressource. [en ligne]. Arte.tv, octobre 2014 [consulté le 13 octobre 2014]. URL : http://future.arte.tv/fr/sujet/gaz-de-schiste-la-controverse-dune-ressource
- Ahmed, Nafeez Mosaddeq. Gaz de schiste, la grande escroquerie [en ligne]. Le Monde Diplomatique, mars 2013 [consulté le 13 octobre 2014]. URL : http://www.monde-diplomatique.fr/2013/03/AHMED/48823
Livres
- Chevalier, Jean-Marie. L'avenir énergétique : cartes sur table. Gallimard, 2012. Folio actuel. 224 p.
- Jobert, Marine. Gaz de schiste : de la catastrophe écologique au mirage énergétique. Actes Sud, 2013. Babel. 240 p.
- Bodin, Muriel, Ropers, Jean. Gaz de schiste : vraie ou fausse opportunité ?. Le Muscadier, 2013. 128 p.
- Bauquis, Pierre-René. Parlons gaz de schiste en 30 questions. La Documentation Française, 2014. 96 p.
Revues
Dupin, Ludovic. Energie : la vérité sur le gaz
de schiste. Usine Nouvelle, 2011, n°
3228, p. 32-33.