"on ne nait pas raciste, on le devient" c'est le résultat de la force des habitudes, et c'est une bonne nouvelle, car des mauvaises habitudes, on peut se défaire. il est donc important d'éduquer les jeunes et leur faire prendre conscience très tôt des mécanismes pernicieux de la discrimination, pour qu'ils ne soient jamais ni victimes, ni auteurs de discrimination.
Lilian Thuram a crée sa fondation d'éducation contre le racisme en 2008, alors qu'il jouait à Barcelone. Cette mission s'est imposée à lui, c'est un peu l'oeuvre de sa vie et une façon d'assumer sa responsabilité sociale de sportif de haut niveau et de champion du monde. "Je suis devenu noir à l'âge de 9 ans, à mon arrivée en métropole", "à l'école, on m'a appelé la Noiraude" dit-il pour expliquer son expérience personnelle du racisme, et son engagement militant pour l'Egalité. Plus tard, il évoque les stades en Italie où les joueurs de couleur sont accueillis avec des cris de singe. Tout le monde lui disait de ne pas s'en faire, c'était comme ça, une forme de bêtise, on ne pouvait pas faire grand chose, une espèce de fatalité...Loin de s'habituer, et conscient de la difficulté de lutter contre des conditionnements sociaux qui remontent au fond des âges, Lilian Thuram, jeune retraité, a choisi de prendre son bâton de pélerin dans les écoles pour lutter, en mobilisant des intellectuels prestigieux (Françoise Héritier, Yves Coppens....) et en écrivant sur ces thématiques.(voir bibliographie)
Jeudi 9 janvier, Lilian Thuram s'est adressé au lycée à plus d'une centaine de jeunes de 4 classes différentes et leurs professeurs en salle Isnard. Cette rencontre avec le grand champion a été préparée depuis des semaines dans chacune des classes avec les enseignants, par des lectures, des exposés et des débats. L'actualité a fourni un grand nombre d'exemples, démontrant quasiment chaque jour en novembre et décembre 2013, l'importance de faire régulièrement un point sur la question dans les écoles.
Cette rencontre a pris la forme d'une séance très vivante de questions-réponses , au cours de laquelle l'invité n'était pas toujours la personne interpelée. En effet, le grand champion a questionné les jeunes, les a fait s'interroger, pour faire bouger les lignes. Il a pointé les paradoxes, invité à se défaire de préjugés sans se renier. "On ne peut pas revendiquer des droits pour soi, et en refuser aux autres". l'Egalité n'est pas divisible, tente-t-il de faire percevoir à ces garçons et filles qui revendiquent des droits, lorsqu'ils se sentent victimes de discrimination raciale, ou religieuse mais qui seraient tentés de refuser des droits aux homosexuels.
On peut dépasser les discriminations lorsqu'on comprend bien leurs mécanismes. En effet, on ne peut exploiter les gens, que si on arrive à les convaincre d'une prétendue infériorité. C'est une construction intellectuelle insidieuse. Ainsi, le sexisme, la plus ancienne et aussi la plus courante des discriminations génère ensuite toutes les autres. Les races n'existent pas, il n'existe qu'une seule espèce humaine. L'école de la troisième République a perpétué des idées farfelues pour justifier la colonisation. Un passage d'un manuel scolaire de cette époque, le Tour de France de deux enfants, prête maintenant à sourire.
L'esclavage n'a pu exister que sur le racisme, sinon il aurait été très difficile de vendre, de mettre des fers, de battre et de faire travailler jusqu'à la mort des êtres humains que l'on aurait jugés comme ses égaux. L'esclavage est aboli depuis très longtemps, mais le racisme ordinaire blesse les gens qui ont ensuite du mal à trouver une place dans la société. Il en résulte rancoeur et frustration et le risque de développer les mêmes symptômes.
Puisqu'il s'agit d'une construction intellectuelle, on peut la déconstruire ...."avec sa tête" en réfléchissant un tout petit peu.....
En fait pour éviter de tomber dans la victimisation, il faut comprendre. "Celui qui a un problème, ce n'est pas le joueur noir humilié sur le terrain, c'est celui qui pousse les cris de singe". Ne plus se sentir victime et éprouver de la compassion pour l'auteur des propos, c'est déjà un bon début pour lutter contre les discriminations. Chacun d'entre nous peut y contribuer. Car l'Egalité se gagne, elle n'arrive pas toute seule, c'est d'abord un combat quotidien pour faire évoluer les mentalités.
Nelson Mandela, une des "étoiles noires" de Lilian Thuram, est à cet égard un modèle. Il a bien compris le lien entre racisme et homophobie par exemple, il ne s'est pas enfermé dans la victimisation, et il a lutté pour des droits pour tous et pas seulement pour une communauté. Il laisse au monde un héritage moral incomparable.
Pendant une heure et demie, Lilian Thuram a dialogué avec nos élèves, un débat riche et impossible à épuiser en un temps si court. Il a aussi rassuré les pessimistes persuadés d'une aggravation du racisme en France. Dans chacune des classes, les séances d'Ecjs qui vont suivre seront sans doute très animées.
Les enseignants présents ont apprécié la force de son engagement avec les jeunes, son pouvoir de conviction et sa grande disponibilité notamment pour les très nombreuses "séances photos" avec les jeunes, puis avec tous les agents à la cantine.
Un remerciement spécial aux 5 étudiants du BTS Audiovisuel du lycée de Boulogne et leur professeur qui ont filmé cette rencontre, réalisé des interviews, pour que les jeunes du lycée gardent un souvenir de ce moment rare.
Michèle Dégardin
Important:
La Fondation Lilian Thuram édite avec la MGEN et la CASDEN un DVD éducatif pour aider les enseignants . C'est gratuit, il suffit de le demander à la Fondation. (voir site )
Bibliographie