L'association Sciences Essonnes a présenté pour la première fois au lycée une table ronde sur l'eau permettant d'échanger sur des problématiques de développement durable, à partir de cas concrets présentés par deux chercheurs de discipline différentes: Abdoul Ba, maître de conférence en géographie à l'Université d’Évry Val d'Essonnes, et Camille Dupat, chercheuse en hydrodynamique à l'école Polytechnique. L'originalité de la formule, c'est aussi la présence des adhérents de l'association.
Qu'est-ce qu'un enseignant-chercheur ? C'est Abdoul Ba, géographe, qui répond en premier à cette question afin d'expliquer son métier aux élèves de seconde présents avec leurs professeurs d'histoire-géographie. Un enseignant-chercheur doit d'abord effectuer un certain nombre d'heures d'enseignement auprès de ses étudiants. Le reste du temps, il fait de la recherche sur sa spécialité qui est généralement un sujet qui le passionne. Il voyage pour enquêter sur le terrain et participer à des séminaires. Il écrit des livres, publie des articles...
Abdoul Ba nous présente son sujet d'étude qui porte sur le bassin du fleuve Sénégal, un espace très vaste, drainé par le fleuve et ses affluents sur 330 000 kms², comprenant 4 pays : la Guinée, la Mauritanie, le Sénégal et le Mali. La zone a des conditions climatiques arides, presque désertiques, d'ailleurs le mot arabe "Sahel" signifie rivage.
Avec trois mois de pluie par an, la vie des éleveurs et des cultivateurs est difficile et leur cohabitation compliquée : les éleveurs sont nomades alors que les cultivateurs sont sédentaires. Les éleveurs ont tendance à se déplacer le long du fleuve sans tenir compte des frontières héritées de la colonisation. Il parait absurde de présenter un passeport pour aller s'abreuver. Ces divergences d'intérêt ont même provoqué une guerre entre la Mauritanie et le Sénégal en 1989. La gestion de l'eau est en effet différente selon les pays et la prédominance des éleveurs ou pas dans leur population.
Deux barrages, l'un au Mali, l'autre au Sénégal viennent compliquer la situation. L'un empêche les remontées d'eaux salées dans l'embouchure du fleuve et l'autre sert à produire de l'hydroélectricité. Les écosystèmes sont alors modifiés et les maladies dues à la présence des eaux stagnantes augmentent. Le calendrier des activités humaines est lui aussi modifié car l'eau est toujours présente.
C'est un vrai défi de faire s'entendre quatre pays pour une meilleure gestion de la ressource et régler les différents problèmes nés de la construction des barrages dans l'intérêt de toutes les populations.
Camille Dupat, nous présente d'abord son laboratoire, où l'on vient du monde entier pour étudier l'écoulement des fluides : à l'échelle des océans comme à l'échelle des flux sanguins.
Elle nous propose alors une étude de cas qui évoque une situation très locale, celui du village de Chigungo au Chili, à peu près 200 personnes, dans le désert d'Atacama, une des zones les plus arides de la planète où il ne pleut que tous les 10 ans. Le brouillard, en revanche, est très souvent présent. L'eau potable du village était jusqu'à peu livrée par camion. En 1992, les villageois ont posé 50 filets à brouillard (de 4m de long sur 1m de haut) et ont ainsi pu récupérer, par condensation, des gouttes de brouillard, soit environ 10 000 litres d'eau par jour. C'est d'une mise en œuvre facile, les villageois ayant utilisé des filets de pêcheur ordinaire.
Dans ce contexte, quelle aide peuvent apporter les chercheurs ?
Ils ont étudié le phénomène et proposé des améliorations simples à partir de ce qu'il est possible de trouver sur place. Ils ont donc commencé par chercher comment s'agrègent les gouttes de 2 microns en suspension et comment elles peuvent s'écouler pour être récupérées ensuite dans un bassin et acheminées au village. Une série de films sur l'écoulement des gouttes sur différents supports nous a montré l'intérêt de cette étude. La nature du support importe énormément ainsi que la taille des mailles. Il faut favoriser la "coalescence" et éviter que le vent n'emporte les gouttes trop légères. Il faut également éviter les produits chimiques polluants et coûteux. Les chercheurs essaient aussi de voir si la méthode est transposable dans d'autres sites arides soumis au brouillard.
Dans tous les cas, les chercheurs partent d'une pratique de terrain pour proposer des améliorations de l'accès à l'eau. Ils s'interrogent aussi sur les manières de cultiver, l'usage de plantes plus adaptées à la sécheresse et sur l'éducation à ne pas gaspiller l'eau.
En effet, même si les pays du "Sud" n'en sont pas à des consommations d'eau par habitant aussi importantes que les pays du "Nord", les modes de vie tendent à se rapprocher. Il faut donc éduquer.
L'eau est source de cohésion des communautés. Au Chili, les filets font l'objet d'un travail collectif pour leur entretien. Pour le fleuve Sénégal, c'est un organisme international, l'Organisation pour la Mise en Valeur du fleuve Sénégal (OMVS), regroupant des représentants des quatre pays concernés, qui définit la répartition de consommation et qui régule les usages.
Pour aller plus loin :
voici la bibliographie de M. Ba :
- Acteurs et territoires du Sahel, ENS, 2007
- Dimension culturelle du développement, L'Harmattan, 2010
- Dynamiques de développement et enjeux de gouvernance territoriale, L’Harmattan, 2013
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire