samedi 15 mars 2008

Chapitre 4 : De l’Islam, une pratique paisible et simple


…De l’Islam, j’avais en mémoire la mosquée d’Agadez. Sans doute parce que, un matin de juin, le minaret avait émergé de l’ombre et s’était nimbé de lumière rose dans l’encadrement d’une fenêtre à motifs mauresques. L’édifice semblait de guingois, hérissé de pieux saisis dans la masse des murs, mais d’allure très ancienne, étroite dans l’air pur. Des hirondelles virevoltaient en criant dans le cône d’ombre.
Plus tard j’avais pu gravir l’escalier étroit de la tour et déboucher sur le trou d’homme qui sert de garde corps, tout en haut. Le maillage serré des quartiers s’étendait autour, ocre, horizontal, et sur l’horizon se détachaient la ligne plus sombre des palmeraies d’Azel et les contreforts de l’Aïr. Le palais du sultan, à trois étages pourtant, semblait enfoui dans le labyrinthe des cases, des ruelles et des cours de concessions.
Dans les salles basses, contrebutées d’énormes piliers en terre j’avais pu converser avec les « anciens » des quartiers. Nous parlions de la conservation et de la transmission de l’histoire d’Agadez, récemment inscrite au Patrimoine mondial. Les enjeux étaient sans doute importants pour ces chefs de communautés, qui décelaient l’engouement touristique des populations du « nord », mais leur parole était mesurée, l’écoute attentive. Je tentais de saisir l’essentiel de l’échange, sans tout comprendre de ce que le traducteur disait, mais ému de leur confiance et de leur retenue, dans ce le lieu saint qui nous invitait à dire « vrai ». Adossés aux murs colossaux, la fraîcheur et l’ombre facilitaient la méditation. Nous étions pieds nus sur un sable très fin. Près de la voûte, un lucarneau ouvrait sur un ciel bleu de prusse.
Plus tard encore, dans la vieille ville je m’étais assis près d’un groupe d’enfants qui récitaient des sourates à toute allure en déchiffrant des tablettes aux caractères estompés.
La plupart de ces élèves quitteront l’école coranique en sachant réciter un certain nombre de passages du livre Saint. Ils auront aussi appris à lire l’arabe, mais resteront incapables de l’écrire. Dans un pays où les langues sont multiples (Haoussa, Tamachek, Zerma, Foufouldé…) le Coran est appris, en arabe, de manière mnémotechnique et mécanique. Dès lors on peut s’interroger sur la compréhension du dogme ….Là le maître était sévère et agitait une baguette qui sifflait dans l’air à la moindre faute. Les passants se pressaient. Le bourdonnement des prières se faisait plus fort.

A un autre moment j’avais rencontré du côté de Filingué (ouest du Niger) un groupe de Soufis, rassemblés pour un deuil. Ils m’avaient emmené dans un campement proche et avaient sorti leurs livres et leur généalogie, qui, disaient-ils, remontait jusqu’au prophète. Leurs yeux brillaient en portant de grands livres imprimés, reliés de cuir et ficelés en croix avec des lanières de cuir.
Toute la famille s’était regroupée et insistait pour feuilleter les pages. Dans le paysage de brousse herbeuse, ouverte au grand soleil, la société du livre faisait irruption. Beaucoup de noblesse dans la prise de parole et le jeu des questions-réponses. Les enfants étaient collés contre leurs pères et écoutaient, les yeux étincelants, cette rencontre d’adultes autour des ouvrages anciens sur lesquels ils reconnaissaient les lettres de l’alphabet arabe…


Le soufisme représente la dimension mystique de l’Islam (la vraie connaissance religieuse est obtenue par une expérience personnelle, aboutissant à une union momentanée avec Dieu) et l’une des plus importantes traditions de l’ésotérisme musulman. Selon la tradition, les ancêtres spirituels du soufisme se trouvaient parmi les Compagnons de Mahomet.
L’Islam, pour moi, c’était aussi Niamey, aux heures de fin de nuit et en fin d’après-midi. Je m’arrêtais dans mes tâches pour écouter le muezzin du quartier de Château I, magnifique chanteur dont la seule voix apportait la certitude de débuter et de finir le jour en toute quiétude. La ligne mélodique du chant se déployait sans rupture sur tout le quartier, devenu soudain plus calme, attentif à l’appel.


Je passais aussi parfois devant la grande mosquée, au dôme de tuiles vernissées et vertes, devant laquelle s’étendait une vaste esplanade. Le vendredi des centaines de fidèles venaient y prier. Tout à coup c’était comme une bulle de silence sur la ville. La circulation devenait lointaine. Les appels à la prière rayaient le ciel embrumé de poussière de sable. Rose comme de coutume.

En pays Songhay, ce sont les petits édifices qui bordent la piste qui attirent l’œil. Cubes de banco surmontés d’un pan de mur un peu plus haut que les autres, armé d’un croissant et d’une étoile peints en jaune, ou en vert et blanc. D’évidence les salles de prière ne sont pas assez vastes pour accueillir tous les fidèles et l’espace proche est balayé, délimité par des troncs d’arbre ou des pierres. On y dépose des nattes et de vieux tapis. Sur les façades un bandeau vert souligne l’existence du lieu de prière.

Pour tout le monde, les Songhay paraissent entièrement islamisés : leurs vêtements, leur droit, l’organisation des journées sont soumis aux règles de l’Islam. Les hommes qui ne se soumettent pas aux cinq prières de la journée sont rares. On y observe le jeune du Ramadan, le sacrifice du mouton à la Tabaski. On traite avec respect les quelques El Hadj qui ont fait le pèlerinage à La Mecque.

Pourtant, l’Islam n’est qu’une conviction plus ou moins profonde. Jean Rouch écrit que « depuis le XI ème siècle, date probable de la première « conversion » des Songhay, l’Islam s’est heurté à cette faculté d’assimilation et de fidélité aux coutumes qui est le trait caractéristique de la mentalité Songhay : il a moins effacé les anciennes croyances qu’il ne leur a apporté d’éléments nouveaux ». Cependant l’apport de l’Islam est incontestable : l’ancien testament, la philosophie orientale et les éléments de l’occultisme arabe. Si les musulmans orthodoxes ou traditionalistes sont une minorité, la métaphysique Songhay a été profondément marquée par l’Islam. Sans doute les Songhay sont-ils plus préoccupés du temporel que de l’éternel, de leur vie de tous les jours que de leur existence dans l’au-delà.

L’Islam fournit aisément l’assurance de la béatitude éternelle : il suffit de prier régulièrement, de jeûner et de respecter quelques rites (baptême, mariage, enterrement), pour devenir un élu, un alzana. Mais en dehors de cela les hommes s’adressent pour les affaires quotidiennes à des esprits, des divinités ou des principes plus accessibles. Dieu est le créateur du monde, c’est « le maître » et, de ce fait, hors d’atteinte. Il est plus simple de traiter avec les Zin (djinn) qui résident, invisibles, dans un certain nombre d’endroits remarquables (arbre, rocher, montagne, rivière…). La tradition demande aussi d’appeler les génies (Holey), véritables « moniteurs » de la terre, des eaux et du ciel, pour régler les petits différends des hommes, plutôt que déranger le Tout Puissant…

Lorsqu’on marche en brousse, il n’est pas rare de découvrir, dans les endroits les plus reculés ou les plus déserts de petits quadrilatères entourés de cailloux et bien nettoyés des brindilles ou des débris apportés par le vent. Une encoche dans le dessin évoque le mirhab, petite niche qui indique la direction de la Mecque. Définition humble et nue d’un domaine de foi et de prière, anonyme, loin de tout, et tellement sincère.

A l’heure de la prière, les hommes s’arrêtent, font leurs ablutions –avec du sable propre lorsque l’eau est trop rare- et vont prier un peu à l’écart, avec une grande concentration.

Dans ce pays la pratique de l’Islam est paisible, aisée et simple.
Jean Louis Dodeman



Aucun commentaire: